Innovation Interview

Explorez l'avenir du design intérieur automobile avec Andreas Wlasak, Vice-Président Groupe du Design Industriel

andreas wlasak

À quoi ressemblera l’habitacle de votre prochaine voiture ? Avec Andreas Wlasak, Vice-Président Groupe du Design Industriel, nous explorons les défis actuels, les tendances futures et de nouvelles façons de concevoir des intérieurs plus durables, connectés, personnalisés et confortables que jamais… et toujours plus séduisants.


Envoyer par email


Comment pensez-vous que les fonctions HMI évolueront au cours des 5 prochaines années ? Verrons-nous un retour des boutons traditionnels dans l’habitacle, c’est-à-dire moins d’écrans tactiles ? Vont-ils disparaître au profit d’autres HMI comme l’audio ou les affichages tête haute ?

Les trois lettres HMI (Interface Homme-Machine) englobent tout ce avec quoi un utilisateur interagit (comme, par exemple, le réglage de l’appui-tête d’un siège arrière). Mais dans le cadre de cette question, je me concentre sur une définition plus restreinte de l’HMI : les affichages, boutons et autres dispositifs liés au conducteur.  

La sécurité va redevenir un élément central de l’HMI. Les avancées techniques ont récemment permis à l’industrie de proposer des interfaces impressionnantes avec un catalogue de fonctionnalités immense. Cependant, cela a créé une certaine distraction pour le conducteur, entraînant des situations potentiellement dangereuses. 

Les écrans ne disparaîtront pas, mais les interfaces physiques avec des formes reconnaissables et agréables retrouveront leur place, au moins pour les fonctions primaires. Un équilibre raisonnable peut être trouvé, non seulement basé sur les préférences personnelles, mais aussi sur la charge cognitive mesurable du conducteur.  

Aujourd’hui, les écrans tactiles dominent les véhicules car ils imitent les interactions des smartphones, auxquelles nous sommes tous habitués. Cependant, ils présentent des défauts : ils obligent les conducteurs à détourner leur attention de la route, compromettent l’esthétique avec des traces de doigts et s’intègrent difficilement dans des intérieurs élégants. Surtout, dans le contexte d’une voiture où l’interaction avec l’écran est secondaire par rapport à la fonction principale de "conduire", ils restent un compromis : le conducteur doit ajuster sa vision de la route (loin) à l’écran (proche). En conséquence, l’écran devrait être aussi éloigné que possible des yeux, mais les fonctions tactiles exigent qu’il soit suffisamment proche pour être accessible.  

C’est pourquoi d’autres technologies tentent de dématérialiser le dispositif, comme l’affichage tête haute classique qui projette des images dans le champ de vision principal du conducteur, mais qui nécessite une redondance. Ou encore des technologies de projection et de réflexion, comme celles proposées par FORVIA avec l’AirVision. Ici, l’image flotte presque comme par magie dans une cavité, et l’interaction se fait en sélectionnant des cibles par le regard, puis en confirmant par un bouton physique sur le volant. Agréable à utiliser tout en étant plus sûr.  

La bonne nouvelle pour l’industrie est qu’il y aura davantage d’options pour que les constructeurs automobiles se distinguent. Bien que la sécurité pousse vers des solutions standardisées, la marque et donc l’individualisation joueront un rôle clé dans l’offre HMI de demain.

Quels défis soulèvent les problématiques d’inclusivité et de diversité dans la conception des HMI ? Comment les habitacles peuvent-ils s’adapter à une gamme si large d’utilisateurs — différents âges, capacités, tailles et attentes culturelles ? Un HMI universel est-il possible ?

Les scientifiques cognitifs plaident pour des interfaces universelles et standardisées afin de garantir une sécurité maximale et une facilité d’utilisation homogène dans les véhicules.  

Cependant, les besoins individuels, les préférences et les identités de marque exigent souvent une personnalisation. On pourrait dire qu’un HMI adapté aux personnes en situation de handicap fonctionnerait également pour tous les autres, ce qui pourrait être vrai pour des tailles de police suffisamment grandes sur un écran, etc. Pourtant, les différences sont bien trop importantes pour être couvertes par une seule solution universelle.  

En ce qui concerne les différences culturelles, l’avantage avec le contenu numérique est qu’il peut être modifié simplement par des variantes ou des mises à jour logicielles. Cela vaut également pour la personnalisation au sein d’une même culture et d’un même utilisateur : je peux avoir des préférences différentes pour le contenu et la visualisation lors de mes trajets quotidiens domicile-travail par rapport à un long voyage en famille, ou entre une conduite tranquille sur autoroute et une circulation animée en ville.  

La clé réside dans la distinction entre les interactions optimisées pour la sécurité, qui nécessitent une standardisation, et les fonctionnalités de confort ou de divertissement, qui peuvent être adaptées. Cet équilibre garantit que les HMI sont à la fois universels et personnalisables selon les besoins individuels.  

Quels seraient, selon vous, les fonctionnalités liées à la santé et au  bien-être à intégrer dans les habitacles de demain ?

La santé et le bien-être représentent des frontières passionnantes dans la conception automobile, avec d’énormes opportunités d’innovation.  

Le bien-être vise à créer un environnement sensoriel harmonieux et synchronisé, qui s’adapte aux besoins de l’utilisateur. Idéalement avec une conscience situationnelle pour s’adapter à des besoins momentanés, comme nos solutions de massage de siège synchronisées avec du contenu vidéo ou musical. L’intelligence artificielle jouera un rôle essentiel en apprenant des comportements des utilisateurs pour anticiper dynamiquement leurs besoins. Cela sera valable pour tous les occupants, pas seulement les conducteurs. Des fonctionnalités comme l’ajustement du volume de la musique pendant les conversations ou l’activation de paramètres préférés en fonction des habitudes vont redéfinir nos standards de confort.

Le bien-être s’étend également aux moments où la voiture est à l’arrêt. Les pauses de recharge pour les véhicules électriques pourraient permettre des siestes, des activités sociales ou professionnelles avec des fonctions de table, voire des expériences de camping en transformant certaines parties de l’intérieur en espaces de loisirs.  

La santé va au-delà du bien-être, on n'est plus sur les mêmes enjeux et responsabilités. C’est une voie plus risquée, mais offrant des possibilités infinies, allant de la mesure des fonctions corporelles à des réponses adaptées pour prévenir les accidents lorsque le conducteur n’est pas en mesure de conduire en toute sécurité, etc.

Nous aimerions connaître votre point de vue sur la manière d’aborder la durabilité dans la conception des intérieurs de voiture.

L'’industrie automobile fait face à une attention croissante sur son impact environnemental. Concevoir des intérieurs à la fois durables et attrayants est essentiel pour préserver la mobilité en tant que droit fondamental.

La durabilité passe par des solutions architecturales qui permettent au véhicule et à ses principaux modules de durer plus longtemps, de rester attractifs et donc de ne pas être remplacés trop rapidement. Cela nécessite une nouvelle manière de concevoir le véhicule et son intérieur. Dans des produits qui peuvent être utilisés sur une plus longue période, l’ultra-personnalisation prend encore plus de sens.

Ensuite, bien sûr, il s’agit d’utiliser moins de matériaux : ne pas recouvrir chaque élément structurel avec des matériaux dont la seule fonction est... masquer des imperfections. Être créatif non seulement en ajoutant de nouveaux éléments, mais aussi en retirant ce qui n’est pas nécessaire, et bien sûr en proposant des solutions allégées. Cela génère également une perception de plus d’espace et s’oppose à la tendance où chaque nouveau modèle est plus grand que son prédécesseur.

Enfin, il y a les matériaux durables, un axe clé de développement dans nos équipes. En tant que designer, je suis particulièrement intéressé par les matériaux qui démontrent et communiquent la durabilité. L’irrégularité est l’ennemi du processus de production automobile, mais avec des contenus recyclés et biosourcés, nous devrons changer les règles et définir des conditions limites dans lesquelles des variations sont acceptées. L’objectif est de redéfinir la "nouvelle acceptabilité". Notre rôle est également de proposer une nouvelle expression du "luxe", s’éloignant des codes traditionnels du cuir, du chrome et du bois.

Quel est l’impact le plus important de l’automatisation et du passage de propriétaire-passager à passager utilisant un service de mobilité ?  Comment les véhicules autonomes influenceront-ils la conception des intérieurs ?

Le passage de la propriété à l’usage aura des effets profonds sur les intérieurs des véhicules. Alors que les niveaux de finition personnalisés pourraient perdre en importance, il y a un potentiel pour des intérieurs plus spécialisés conçus pour des cas d’utilisation spécifiques au fil de l’année. Par exemple, un utilisateur pourrait louer un véhicule utilitaire pour des courses, une voiture de sport pour le loisir, ou un van familial pour les vacances.

Les véhicules entièrement autonomes de niveau 5, qui éliminent la nécessité de dispositifs de direction, restent une réalité lointaine. Cependant, la transition vers une automatisation partielle façonnera les intérieurs entre-temps. Les volants deviendront d’abord plus importants, car ils devront s’adapter à divers scénarios avant de peut-être un jour disparaître complètement. Cela signifie potentiellement des configurations complètement nouvelles : les 4 ou 5 personnes, aujourd’hui toutes strictement orientées dans le sens de la conduite, pourraient être disposées différemment dans l’habitacle, pour des activités jusque-là impossibles.

Comment le véhicule défini par logiciel (SDV) modifie-t-il l’architecture intérieure et son apparence ?

Pour l’utilisateur final, le SDV aura principalement un impact sur les services proposés, en particulier lorsqu’ils deviennent complexes et qu’une fonctionnalité ou un service est composé de nombreuses sous-fonctionnalités, comme dans le cas de la conduite hautement assistée ou automatisée.

Je m’attends à ce que l’impact sur l’architecture intérieure soit plutôt indirect, dans le sens où un SDV peut gérer des scénarios d’utilisation qui seraient difficilement possibles avec une architecture EE traditionnelle. En conséquence, ces scénarios complexes peuvent être proposés de manière sûre.

Pensez, par exemple, à la surveillance des occupants activée par l’IA, qui déclenche des réactions du véhicule : comportements de conduite, contrôle de l’ambiance, positions des sièges, etc. Toutes ces choses pourraient avoir un impact significatif non seulement sur le service, le confort et le bonheur des utilisateurs, mais aussi sur la sécurité fondamentale.

L’architecture physique et électrique du véhicule pourra également être modulaire, permettant des mises à jour au fil du temps. Cela signifie que le véhicule pourra évoluer avec les progrès des technologies numériques, mais aussi recevoir des mises à jour matérielles, y compris des modules importants comme les sièges et les consoles, sans affecter l’architecture sous-jacente du SDV.

Cette architecture, motivée par une recherche de standardisation, permettra de définir des zones pour une ultra-personnalisation sans impact financier important. Éclairage, matériaux, formes uniques et effets… tout devient possible.

Pour conclure, quels sont, selon vous, les plus grandes tendances en matière de design intérieur automobile et les défis les plus importants à venir ?

L’un des plus grands défis à venir sera de relier tous ces points mentionnés dans la question à... l’accessibilité économique. Les solutions les plus sûres et les plus attrayantes n’aideront pas l’industrie si nous ne sommes pas capables de les rendre accessibles à un grand nombre de personnes. La mobilité est un droit humain ; notre travail est de protéger ce droit.

Au-delà de cela, une autre tendance, plus pertinente pour le design, est la "détox visuelle". Nous devons créer des intérieurs qui offrent tous les services attendus par les utilisateurs, sans créer d’environnements visuellement trop chargés ou trop technologiques. La voiture comme havre de paix et de sécurité, où je peux choisir entre être ultra-connecté ou littéralement déconnecté, le dernier espace véritablement privé où je me sens chez moi, "à ma place", où je peux faire ce que je veux et profiter de moments de plaisir personnel.