Innovation Interview

Electrification des véhicules - Session Q&A avec Christophe Aufrère, CTO de FORVIA

Christophe Aufrere

Christophe Aufrère, CTO de FORVIA, explore l'évolution de l'électrification des véhicules et répond à nos questions. Des émissions de CO2 et de l'accessibilité aux dernières avancées en matière de matériaux, de technologies et d'hydrogène, l'avenir de l'électrification soulève de nombreux sujets importants.


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Quelle est votre opinion sur la généralisation de l'électrification ? Pourrait-elle être retardée edn raison de la dynamique mondiale ?

L'électrification est sans aucun doute une tendance fondamentale et, même si le rythme de cette transition variera selon les régions, il est clair que la mobilité mondiale sera largement électrifiée à long terme. L'incertitude concerne davantage le rythme de cette transition, car, comme pour de nombreuses évolutions, elle ne sera pas linéaire. Il y aura des phases d'accélération et des phases de ralentissement, comme celle que nous semblons connaître actuellement.

Le ralentissement actuel peut s'expliquer par plusieurs facteurs : la préparation des infrastructures (notamment l'accès facile aux stations de recharge), les considérations technologiques (l'autonomie des véhicules et le temps de recharge restent des points essentiels pour les consommateurs), l'incertitude réglementaire (avec une gronde  de plus en plus audible des OEMs concernant la faisabilité des objectifs de réduction de CO2) et, bien sûr, les prix d'achat des VE, qui restent nettement supérieurs à ceux de leurs équivalents à moteur thermique.

Sans entrer dans le débat sur le rythme de la réglementation, d'un point de vue technique, l'industrie automobile doit se concentrer sur la réduction des coûts de production des VE, notamment les batteries, qui représentent encore environ 70 % du coût du groupe motopropulseur d'un véhicule. À cet égard, on observe déjà l’arrivée de nouvelles chimies de batteries (LFP) sur le marché, offrant des réductions de coûts significatives. On peut également citer la simplification des modules d’électronique de puissance, le système de refroidissement, la centralisation de la puissance de calcul et l'optimisation des faisceaux de câbles, qui contribuent toutes à réduire les coûts de production des VE.

Cependant, dans notre industrie, comme toujours, le levier clé pour réduire les coûts est d’atteindre une masse critique dans nos productions. C’est, par exemple, ce que nous visons dans notre usine d’Allenjoie, où nous produisons des réservoirs de stockage d’hydrogène et des systèmes complets pour véhicules à hydrogène. À pleine capacité, nous produirons à Allenjoie 100 000 réservoirs par an, ce qui nous permettra de diminuer considérablement les coûts de production.

Au-delà de la question de l’accessibilité, je tiens également à rappeler que l'objectif commun est de décarboner la mobilité dans son ensemble. Il est donc essentiel de proposer des solutions pour tous les véhicules qui seront mis en circulation. C'est pourquoi, chez FORVIA, nous restons agnostiques en matière de groupes motopropulseurs et proposons des produits répondant à plusieurs technologies, permettant une mobilité à très faibles émissions, voire zéro émission. Nous pouvons ainsi contribuer à la dépollution des véhicules thermiques, fournir des composants de gestion de puissance pour les véhicules électriques à batterie, fournir des réservoirs pour les fourgons à hydrogène utilisant des piles à combustible, ou encore développer des solutions permettant l’utilisation de l’hydrogène dans des moteurs thermiques.

C'est grâce à cette pluralité de solutions que nous pourrons réduire de manière significative les émissions de la mobilité, et l'électrification jouera bien sûr un rôle majeur.
 

Qu'en est-il de l'impact des batteries (principalement des BEV, mais aussi des hybrides légers) sur le poids des véhicules ? Comment est-ce que FORVIA agit pour réduire le poids global ?

A l'attention de nos lecteurs : les "hybrides légers" (mHEV : mild hybrid electric vehicles) sont des véhicules hybrides équipés d'un moteur électrique de moindre puissance, qui doit toujours fonctionner en combinaison avec le moteur à combustion et ne peut pas alimenter le véhicule de manière autonome.

Vous avez raison, le poids d'un véhicule électrique est nettement plus élevé que celui d'un véhicule à moteur thermique, d'environ 350 à 450 kg, voire plus dans certains cas. Cela est principalement dû au poids des batteries et des packs associés, ainsi qu'au renforcement de la carrosserie pour supporter cet excès de poids. Pour les hybrides légers, l'augmentation du poids est beaucoup plus faible et assez peu significative.

Il y aura des optimisations à l'avenir, et nous pouvons espérer économiser 150 à 200 kg grâce à l'évolution de la chimie des batteries, à l'optimisation des modules électroniques de puissance, des systèmes de refroidissement, ainsi qu'aux plateformes dédiées aux véhicules électriques.

FORVIA s'est toujours concentré sur la réduction du poids de tous ses composants ou modules et continuera à contribuer aux efforts de réduction du poids pour les BEV, notamment en ce qui concerne les composants électroniques de puissance et les systèmes de refroidissement. FORVIA vise à réduire en moyenne le poids de ses composants de 15 % à 20 % d'ici 2030, avec un objectif environnemental.

Pourquoi les véhicules électriques avec prolongateur d'autonomie ne pénètrent-ils pas plus rapidement les différents marchés ?

Les véhicules électriques avec prolongateur d’autonomie (EREV) ne sont pas des véhicules à zéro émission. La plupart des EREV actuellement sur le marché proviennent de Chine, où le véhicule de base est électrique, et un moteur à combustion avec un générateur est ajouté pour recharger la batterie lorsqu’elle est déchargée. Cette configuration est appelée un « hybride en série ».

Comparés aux véhicules hybrides rechargeables (PHEV, ou « hybrides parallèles »), les EREV offrent généralement une plus grande capacité de batterie pour le même coût, car ils n’ont pas besoin de composants comme une boîte de vitesses. Cela permet une plus grande autonomie en mode zéro émission.

En termes d’utilisation, les EREV, disposant d'une capacité de batterie supérieure à celle des PHEV pour un coût équivalent, ont tendance à émettre moins de CO2 en moyenne, à condition d'être rechargés régulièrement. Cependant, lorsque le moteur à combustion devient nécessaire après la décharge de la batterie, l'efficacité des EREV diminue de plus de 10 %.

La solution idéale pourrait résider dans une approche hybride combinant les avantages des deux systèmes : commencer avec une configuration hybride en série (EREV) mais permettre une connexion mécanique directe entre le moteur thermique et les roues lorsque cela est nécessaire, notamment sur les autoroutes. Cela permettrait de contourner le transfert d’énergie du moteur thermique vers la batterie. Cette solution existe déjà en Chine.

Bien que les EREV devraient gagner en part de marché dans le futur et que de nombreux fabricants explorent cette technologie, il est peu probable qu’elle devienne la solution dominante, surtout avec les réglementations de plus en plus strictes en matière de CO2. De plus, les EREV sont moins adaptés aux segments de véhicules de taille inférieure.
 

Où en est le développement des technologies pour les véhicules électriques à hydrogène et piles à combustible ?

Initialement, le marché des véhicules à pile à combustible hydrogène cible les usages intensifs : camions et véhicules utilitaires légers principalement.
Nous sommes actuellement dans une phase de raffinage des technologies des produits et de réduction significative des coûts grâce à la production de masse et aux technologies de production associées.

En parallèle, il faut un hydrogène décarboné à un prix raisonnable et un réseau suffisant de stations de ravitaillement pour que l'équation fonctionne, ce qui est également en phase de maturation.

Moteurs à hydrogène ou batteries à hydrogène ?

Je suppose que la question porte sur les moteurs à combustion interne à hydrogène (H2 ICE) par rapport à la technologie de pile à combustible associée à une batterie (FCEV). Actuellement, le H2 ICE suscite un grand intérêt, car il pourrait constituer une solution adaptée pour les camions et les véhicules utilitaires légers. La Commission européenne considère désormais cette technologie comme une solution à zéro émission pour les camions. De plus, l'évaluation du cycle de vie complet (LCA) d'un véhicule H2 ICE se rapproche de celle d'un véhicule électrique à batterie (BEV), à condition que l'hydrogène soit décarboné.

En termes d'efficacité, le système FCEV est en moyenne légèrement supérieur au H2 ICE, mais ce dernier se montre plus performant sous des charges élevées. Le H2 ICE émet certaines particules et des NOx, nous savons comment traiter. Cependant, un moteur H2 ICE nécessite des modifications partielles ou totales par rapport à un moteur à essence ou diesel, ce qui implique des investissements supplémentaires.

En conclusion, je pense que les moteurs H2 ICE seront présents sur le marché dans les prochaines années, mais à moyen terme, les FCEV devraient devenir dominants à mesure que leur maturité augmentera et que leurs coûts baisseront.

Quel est l'avis de FORVIA sur les camions électriques à pile à combustible zéro émission ?

Les FCEV sont la bonne solution zéro émission pour les camions, notamment pour les usages intensifs et les charges lourdes, car un FCEV est plus léger qu'un BEV, principalement en raison du poids des batteries. De plus, le temps de recharge des FCEV restera plus court.
Par conséquent, le marché est en train d'émerger, et nous prévoyons que le véritable décollage aura lieu aux alentours de 2030.